Loyers des baux commerciaux et crise sanitaire Covid-19 : quand la bonne foi supplante la force majeure
Dès le début du premier confinement et de la fermeture administrative de nombreux établissements, le gouvernement français a pris des mesures d’urgence visant notamment à soutenir les personnes physiques ou morales pouvant bénéficier du fonds de solidarité, face aux difficultés liées au paiement des loyers et charges afférents aux baux à usage professionnel.
A ce titre, les ordonnances n°2020–306 et 2020-316 du 25 mars 2020 ont prévu la neutralisation des sanctions suivantes liées notamment au défaut de paiement des loyers et charges locatives : pénalités financières ou de retard, dommages et intérêts, astreintes, clauses pénales, clauses résolutoires et clauses prévoyant une déchéance, ou activation des garanties ou cautions. Cette neutralisation a été effective du 12 mars au 10 septembre 2020.
Néanmoins, les loyers et charges échus sur cette période n’ont pas fait l’objet d’un report de paiement explicite et sont demeurés exigibles. D’autres moyens d’actions sont restés ouverts aux bailleurs, tels que les actions en paiement à titre de provision (en référé) ou du solde effectif (au fond) et les mesures d’exécution (saisies conservatoires ou attribution).
L’accent sera mis ici sur les moyens invoqués par le bailleur ou le locataire dans les procédures de référé et au fond pour exiger ou contester le paiement des loyers et charges échus, au regard des décisions judiciaires rendues entre les mois de juillet et décembre 2020.
Il en ressort une tendance générale où le moyen de droit commun de la force majeure est rejeté par les juges, au profit de la bonne foi.
Nota Bene : la loi n° 2020–1379 du 14 novembre 2020 a réitéré et prolongé ces mesures d’urgence en élargissant leur champ d’application pour les personnes éligibles ainsi que pour les sanctions et moyens coercitifs neutralisés, y incluant cette fois les actions et voies d’exécution forcée. Ces mesures — non détaillées ici — sont effectives jusqu’à deux mois après la date à laquelle l’activité cessera d’être affectée par une mesure de police.
1. LA FORCE MAJEURE : UN BOUCLIER EN DEMI-TEINTE
L’article 1218 du code civil permet à un débiteur d’invoquer la force majeure en matière contractuelle lorsqu’un événement échappant à son contrôle (extérieur), qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (imprévisible) et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées (irrésistible), l’empêche d’exécuter son obligation.
Le débiteur peut alors suspendre l’exécution de son obligation (si l’empêchement est temporaire) ou être libéré de cette exécution (lorsque l’empêchement est définitif, le contrat étant alors résolu de plein droit).
L’exécution doit être strictement impossible afin que la force majeure puisse être invoquée. Au regard des décisions rendues au deuxième semestre 2020, la force majeure reste exclue dans de nombreuses situations et a été admise au cas par cas en référé.
- Exclusion de la force majeure pour le paiement de sommes d’argent
Si l’exécution est très difficile ou très onéreuse mais néanmoins possible, la force majeure ne peut être invoquée. Ainsi, en vertu d’une jurisprudence constante, la force majeure est en principe exclue pour les obligations de payer une somme d’argent. (Cass. com. 16 septembre 2014)
Cette règle a été rappelée dans des décisions rendues au cours de l’année 2020, à l’occasion de procédures dans lesquelles les locataires de baux commerciaux ont tenté d’invoquer la force majeure pour échapper à leur obligation de paiement pour les loyers appelés pendant les fermetures administratives. (TJ Paris, référés, 17 juillet 2020 ; TJ Montpellier, référés, 10 sept. 2020 ; CA Grenoble, 5 novembre 2020) - Exclusion de la force majeure pour le créancier d’un droit
L’article 1218 du code civil permet uniquement au débiteur d’une obligation d’invoquer la force majeure qui l’empêche d’exécuter cette obligation. A l’inverse, le créancier d’un droit — en l’occurrence le locataire d’un bail commercial — ne peut invoquer la force majeure qui l’empêcherait d’exercer son droit de jouissance des locaux, dès lors que le bailleur exécute son obligation de délivrance conforme des lieux.
Cette règle a été rappelée dans des décisions dans lesquelles les juges ont écarté le moyen tiré de la force majeure, car le preneur n’apportait pas la preuve du manquement par le bailleur à ses obligations contractuelles et notamment son obligation de délivrance. (TJ Paris, référés, 26 octobre 2020 ; CA Grenoble, 5 novembre 2020) - Admission de la force majeure au cas par cas en référé
Dans les procédures de référé-provision, le magistrat est le « juge de l’évidence » et doit se prononcer, non pas sur le fond du droit, mais sur l’absence de contestation sérieuse relative à une obligation de paiement.
Au fil de décisions de référé rendues en 2020, des preneurs ont valablement pu invoquer la crise sanitaire du Covid-19 comme un cas de force majeure. Une distinction a été établie au profit des loyers dus pendant la période de fermeture administrative juridiquement protégée, pour lesquels la demande en paiement s’avérait sérieusement contestable ou relevant de l’appréciation des juges du fond. La fermeture totale des fonds et le confinement découlant de l’état d’urgence sanitaire étant susceptible de revêtir un cas de force majeure. (TJ Aix-en-Provence, référés, 22 septembre 2020 ; TJ Boulogne-sur-Mer, référés, 4 novembre 2020 ; CA Paris, pôle 1, chambre 3, 9 décembre 2020)
La force majeure apparaît alors davantage comme un « sursis » à l’occasion d’une procédure de référé, pour le preneur qui souhaite obtenir un report de paiement des loyers, dans l’attente de l’issue d’une procédure au fond initiée par le bailleur.
2. LA BONNE FOI : UN ARGUMENT PRIVILÉGIÉ EN TEMPS DE CRISE SANITAIRE
Dans l’une des premières décisions rendues à la sortie du confinement, le tribunal judiciaire de Paris a expressément fait référence à l’article 1104 du Code civil d’ordre public relatif à la négociation, la formation et l’exécution de bonne foi des contrats.
Il a précisé qu’« en cas de circonstances exceptionnelles, il appartient aux parties de vérifier si ces circonstances n’imposent pas aux parties d’adapter les modalités d’exécution de leurs obligations respectives » (TJ Paris, 18è ch., 2è section, 10 juillet 2020). Ces motifs ont été repris dans de nombreuses décisions ultérieures prononcées en référé ou fond.
- La bonne foi du bailleur
Dans l’affaire précitée, en l’espèce, le tribunal a relevé la bonne foi du bailleur qui avait fait des propositions d’aménagement du paiement du loyer consistant en une mensualisation et un report de l’exigibilité du mois d’avril, tandis que le locataire s’était contenté d’exiger une franchise totale.
La même solution a été retenue à l’égard d’un bailleur qui, en concédant même un faible avoir sur l’arriéré locatif, démontrait ainsi qu’il n’exécutait pas le contrat de mauvaise foi. (TJ Limoges, référés, 16 septembre 2020) - La bonne foi du preneur
Là où la force majeure ne pouvait trouver à s’appliquer en faveur du locataire, les juges ont appliqué ce moyen de droit général qui prime et consiste en la négociation et l’exécution de bonne foi des contrats.
Ainsi, l’exception d’inexécution soulevée par le locataire, non au titre de la force majeure mais à la lumière de l’obligation de négocier de bonne foi les modalités d’exécution du contrat, peut constituer une contestation sérieuse de la demande en paiement des loyers.
Les juges relèvent la bonne foi du preneur quand celui-ci démontre que son secteur d’activité a été fortement perturbé par les fermetures imposées par la crise sanitaire et justifie s’être rapproché du bailleur afin d’essayer de trouver une solution amiable au différend les opposant.
Les juges en concluent que la demande en paiement d’un arriéré de loyer, pendant la période juridiquement protégée, est sérieusement contestable et qu’un commandement, dont il n’est pas établi qu’il a été délivré de bonne foi, ne peut être fondé sur cette créance ni conduire au constat de la résiliation du bail. (TJ Paris, référés, 18 septembre 2020 ; TJ Paris, référés, 26 octobre 2020)
Les décisions précitées du second semestre 2020 étaient principalement prononcées à l’occasion de procédures de référé. De nombreuses décisions au fond seront certainement rendues au cours de l’année 2021.
D’ores et déjà, on observe une attention particulière portée par les juges à la bonne foi des parties dans l’exécution du contrat durant la période de fermeture administrative juridiquement protégée.
Par ailleurs, si la force majeure ou la bonne foi ne peuvent être invoquées, il existe d’autres moyens à disposition du locataire d’un bail commercial pour faire face aux difficultés de paiement des loyers. Il peut ainsi demander une renégociation du contrat sur un fondement légal (théorie de l’imprévision, abandon de créance par le bailleur en contrepartie d’un crédit d’impôt en vertu de la loi de finances n°2020–1721 du 29 décembre 2020), contractuel ou amiable. En dernier recours, il pourra bénéficier des procédures d’insolvabilités telles qu’aménagées dans le Kit de survie Covid-19 : outils pour entreprises en difficulté et procédures collectives.
Chaque moyen doit être envisagé au regard de la situation propre de chaque locataire et des conditions particulières qui pourront être détaillées dans le cadre d’une consultation juridique personnalisée.
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