Loyers Covid : la Cour de Cassation tranche et dit « non, non et non ! » aux locataires commerciaux

Sep, 2022 | Droit immo­bi­lier

Par trois arrêts du 30 juin 2022, la Cour de Cassation a tran­ché net­te­ment en faveur des bailleurs com­mer­ciaux, à l’issue de plus de deux ans de débats sur les prin­ci­paux argu­ments invo­qués par les loca­taires pour ten­ter de faire échec au paie­ment des « loyers Covid ».

Pour rap­pel en 2020, pen­dant la crise sani­taire et la fer­me­ture admi­nis­tra­tive de nom­breux éta­blis­se­ments, le légis­la­teur a, par l’ordonnance n°2020–316 du 25 mars 2020 et la loi n°2020–1379 du 14 novembre 2020, neu­tra­li­sé tem­po­rai­re­ment les sanc­tions liées notam­ment au défaut de paie­ment des loyers com­mer­ciaux et charges loca­tives, les­quels sont demeu­rés néan­moins exigibles.

Cette situa­tion a géné­ré de nom­breux conten­tieux oppo­sant bailleurs et loca­taires quant au bien-fondé du paie­ment des loyers, chaque par­tie exci­pant de ce que les fer­me­tures admi­nis­tra­tives n’étaient pas de leur fait.

Les loca­taires ont déve­lop­pé trois prin­ci­paux argu­ments afin de ten­ter de faire échec aux demandes de paie­ment des loyers : la force majeure, le man­que­ment du bailleur à son obli­ga­tion de déli­vrance et la perte par­tielle de la chose louée.

Par trois arrêts pro­non­cés le 30 juin 2022 (21–19.889, 21–20.127 et 21–20.190), la 3ème chambre civile de la Cour de Cassation a pure­ment et sim­ple­ment reje­té ces arguments.

1. La fermeture administrative générale et temporaire n’est pas un cas de force majeure pour le locataire

L’article 1218 du code civil per­met à un débi­teur d’invoquer la force majeure en matière contrac­tuelle lors­qu’un évé­ne­ment exté­rieur, impré­vi­sible et irré­sis­tible l’empêche d’exécuter son obligation.

Ainsi que nous l’avions vu, lors de déci­sions ren­dues au deuxième semestre 2020, la force majeure a été admise au cas par cas en réfé­ré, mais reste géné­ra­le­ment exclue — prin­ci­pa­le­ment au motif qu’elle ne s’applique pas à l’obligation de payer une somme d’argent — au pro­fit de la bonne foi (voir en détail Loyers com­mer­ciaux et crise sani­taire Covid 19 : quand la bonne foi sup­plante la force majeure).

NB : à ce pro­pos, la bonne foi a été trai­tée dans l’un des arrêts ren­dus le 30 juin 2022, dans lequel le bailleur avait pra­ti­qué, trois semaines après la fin du confi­ne­ment, une mesure d’exécution for­cée à l’encontre du loca­taire pour obte­nir le paie­ment des loyers échus pen­dant la fer­me­ture des locaux.  La Cour de cas­sa­tion a approu­vé la cour d’appel qui, après avoir consta­té que bailleur avait vai­ne­ment pro­po­sé de dif­fé­rer le règle­ment du loyer d’avril 2020, en a déduit que ce der­nier avait « tenu compte des cir­cons­tances excep­tion­nelles et ain­si mani­fes­té sa bonne foi ».

Selon la Cour de Cassation dans ses arrêts du 30 juin 2022, « il résulte de l’ar­ticle 1218 du code civil que le créan­cier qui n’a pu pro­fi­ter de la contre­par­tie à laquelle il avait droit ne peut obte­nir la réso­lu­tion du contrat ou la sus­pen­sion de son obli­ga­tion en invo­quant la force majeure. Dès lors, la cour d’appel a exac­te­ment rete­nu que le loca­taire, créan­cier de l’obligation de déli­vrance de la chose louée, n’était pas fon­dé à invo­quer à son pro­fit la force majeure. »

Il est notable de rele­ver qu’à peine une semaine après les arrêts ren­dus par la 3ème chambre de la Cour de Cassation, la pre­mière chambre de la Cour de Cassation a quant à elle ren­du un arrêt le 6 juillet 2022 (21–11.310), dans lequel elle a rete­nu l’argument rela­tif à la force majeure.

Il s’agit tou­te­fois d’une affaire dif­fé­rente oppo­sant, non pas des bailleurs et loca­taires com­mer­ciaux, mais des par­ties liées par un contrat de réser­va­tion d’une salle en vue d’un mariage. Dans cet arrêt du 6 juillet 2022, la Cour de Cassation a don­né rai­son à la cour d‘appel d’avoir esti­mé qu’é­tait carac­té­ri­sé un cas de force majeure en appli­ca­tion de la clause du contrat, lequel sti­pu­lait expres­sé­ment un rem­bour­se­ment de l’a­compte ver­sé en cas de force majeure.

Il est per­mis de s’interroger sur la por­tée de cet arrêt inédit du 6 juillet 2022 et sur son appli­ca­tion au droit des baux com­mer­ciaux au regard de la juris­pru­dence des arrêts du 30 juin 2022. En effet, il n’est pas cer­tain qu’une clause d’un bail com­mer­cial qui ne ferait réfé­rence qu’à la force majeure, sans évo­quer les fer­me­tures admi­nis­tra­tives, suf­fi­rait au loca­taire pour faire échec au paie­ment des loyers.

 2. La fermeture administrative générale et temporaire n’est pas constitutive d’une inexécution par le bailleur de son obligation de délivrance.

Les loca­taires ont par ailleurs ten­té d’invoquer l’article 1719 du code civil, lequel oblige le bailleur à déli­vrer la chose louée et à en assu­rer une jouis­sance pai­sible, confor­mé­ment à sa des­ti­na­tion contrac­tuelle. Ils consi­dé­raient que l’im­pos­si­bi­li­té d’ex­ploi­ter les lieux confor­mé­ment à la des­ti­na­tion pré­vue au bail, même si elle est impo­sée par les pou­voirs publics, consti­tuait un man­que­ment du bailleur à son obli­ga­tion de déli­vrance, jus­ti­fiant que le pre­neur invoque l’ex­cep­tion d’inexécution.

De leur côté les bailleurs oppo­saient que la chose louée était bien déli­vrée, qu’elle demeu­rait conforme à l’usage contrac­tuel pré­vu, et que l’impossibilité d’en jouir n’était pas de leur fait.

Dans les arrêts du 30 juin 2022, la Cour de Cassation a fait droit aux argu­ments des bailleurs et a consi­dé­ré que la mesure géné­rale de police admi­nis­tra­tive por­tant inter­dic­tion de rece­voir du public n’est pas consti­tu­tive d’une inexé­cu­tion de l’o­bli­ga­tion de délivrance.

3. La fermeture administrative générale et temporaire n’entraîne pas la perte de la chose louée pour le locataire

Les loca­taires invo­quaient éga­le­ment l’article 1722 du code civil, qui pré­voit la dimi­nu­tion du loyer en cas de perte par­tielle de la chose louée et sa rési­lia­tion en cas de perte totale, dans des cir­cons­tances fortuites.

Dans les arrêts du 30 juin 2022, la Cour de Cassation refuse d’assimiler l’interdiction de rece­voir du public en période de crise sani­taire à une perte de la chose louée au sens de l’article 1722 du code civil, au motif que cette interdiction :

  • était géné­rale et temporaire ;
  • avait pour seul objec­tif de garan­tir la san­té publique ;
  • était sans lien direct avec la des­ti­na­tion du local loué telle que pré­vue par le contrat

Ainsi, les prin­ci­paux cri­tères per­met­tant de jus­ti­fier les arrêts de la Cour de Cassation résident dans le carac­tère géné­ral et tem­po­raire des fer­me­tures admi­nis­tra­tives ordonnées.

En outre, il convient de lire ces arrêts à l’aune du rap­port de la Cour de Cassation publié le même jour soit le 30 juin 2022, dans lequel la Cour rap­pelle notam­ment les dif­fé­rents dis­po­si­tifs d’aide finan­cière et de sou­tien dont ont béné­fi­cié les loca­taires com­mer­ciaux. Ainsi, même à la Cour de Cassation, l’approche juri­dique n’est jamais tota­le­ment décor­ré­lée d’une approche éco­no­mique et pragmatique.

Par ailleurs, il demeure cer­tains argu­ments sur les­quels la Haute Juridiction n’était pas ame­née à se pro­non­cer dans les trois affaires pré­ci­tées, et notam­ment la théo­rie de l’imprévision en appli­ca­tion de l’ar­ticle 1195 du code civil — lorsque les baux com­portent une telle dérogation.

A suivre…

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